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mamie nuage et recette de grand-mère

Le repas est excellent, il me rappelle les petits plats concoctés par ma grand-mère : une cuisine au beurre simple, savoureuse et réconfortante comme savent la faire nos mamies ou les gens du terroir. La saveur gourmande me réchauffe de l'intérieur; je savoure chaque bouchée comme si cela faisait des jours que je n'avais pas mangé. Chacune d'elle me renvoie à la douceur et la quiétude de mon enfance, quand mes grands-parents nous invitaient à manger le dimanche et que je regardais ma tendre grand-mère cuisiner.

Sa chevelure blanche semblait flotter sur sa tête tel un nuage vaporeux et mouvant pendant que les phalanges magiques préparaient avec amour l'un de ses fameux plats dont elle avait le secret.

En la regardant ainsi, je me frottais la paume sur le ventre, imaginant le repas bien chaud sorti du four. Encore fumant, je le voyais atterrir dans mon assiette tout en me demandant si on pouvait s'asseoir sur un nuage comme dans un hamac, enveloppé contre sa masse blanche et cotonneuse. Mes yeux ne cessaient de faire des allers-retours entre les cheveux courts et bouclés qui me fascinaient et les mains s'affairant avec une aisance singulière aux fourneaux comme à la découpe des légumes frais du marché. J'aimais tant contempler les merveilleuses volutes blanches si légères qui s'échappaient du four pour rejoindre le flot de boucles immaculées.

Un jour, j'avais osé poser la fameuse question à celle que j’idolâtrais tout en ayant peur de sa réponse... Dans le fond je pense que j'avais envie de croire qu'un petit ange était quelque part assoupi dans un lit bien moelleux et tout blanc qu'ici-bas on appelle nuage.

Maman s'était un peu moquée de moi et m'avait demandé mon avis avec un petit rictus. Je me souviens avoir haussé les épaules en entortillant mes doigts et en frottant nerveusement le bout de mon pied sur le tapis.

 « Je ne sais pas avais-je répondu avec un air renfrogné, puis elle a renchéri en s’agaçant :

 - Tu te souviens quand tu m'as demandé si le père Noël existait ?  Eh bien pour le nuage c'est pareil, on ne peut pas s'asseoir dessus, si on essayait on passerait à travers, ce n'est que de la vapeur d'eau qui contient la pluie... »

La fin de sa phrase résonnait là-haut et ce fut le moment où je commençais vraiment à entrer dans le monde désenchanté des grands.

Je n'étais encore qu'un gamin bien naïf mais déjà la douce illusion, la spontanéité heureuse et l'imagination féerique de la petite enfance me quittait lentement jusqu'à disparaître complètement quelques années plus tard pour finir par faire de moi un adulte cynique et blasé par le travail... Usé et le moral dans les chaussettes, j'aspire pourtant au plus beau et au plus simple des bonheurs comme marcher dans un champ de tournesol en contemplant les merveilleux nuages. On dit qu’il faut travailler pour vivre, moi je vis pour travailler.

Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour retrouver un peu le goût, l'odeur, les lieux, les personnes et les couleurs des jours heureux... Être bercé juste quelques instants par l'insouciance.

Alors que je me perds dans les méandres des vieux souvenirs, la mère Louise arrive à point nommé pour rompre ma nostalgie. Elle me lance une petite blague, débarrasse puis revient rapidement vers moi avec sa fameuse part de tarte aux cassis et chantilly, délicieuse et gourmande, qui achève de me remplir l'estomac. La drôle de dame m'interroge du regard en venant chercher l'assiette vide et brillante, presque sans miettes. Je déclare avec sincérité que son dessert maison est fort bon puis force le compliment pour lui faire plaisir en m'enthousiasmant sur la pâte très savoureuse. Cette remarque semble avoir fait mouche puisqu'elle m'explique dans un magnifique éclat de rire :

« Le secret pour une pâte savoureuse c'est le tannage !  Je tape vigoureusement ma pâte contre la table et répète ce geste cinq ou six fois, jusqu'à ce que je la sente parfaitement lisse et onctueuse; en plus ce procédé permet de bien chasser l’air pour avoir un beau biscuit habilement réparti !  Ma mère faisait ainsi, c'est elle qui m'a tout appris en cuisine ! »

L'attachante hôte ajoute tout bas, cachant une partie de son visage avec sa main levée comme le font parfois les enfants qui veulent avouer un lourd secret :

« En plus ça a l'avantage de pouvoir se défouler en toute sécurité, c'est la pâte qui prend tout ! »

Malicieuse et souriante, l'air pétillant et le regard vif, elle souligne sa confidence d'un petit clin d'œil complice. Sa tentative pour me détendre a pris, je ris un peu en sa compagnie et me rends compte que ses petites attentions allègent déjà la lourdeur de mon cœur.

Un dernier client l'interpelle pour régler sa note, il part et je me retrouve maintenant seul dans la grande salle à manger.

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