L'histoire de ma vie

La cascade multicolore et le fruit magique
Le bruit d'une cascade m'attire, je suis assoiffé et voudrais me fondre tout entier sous une eau glacée. Alors je grimpe une falaise et avance à tâtons dans le noir, essayant de me frayer un chemin à travers les roches pentues. Déjà essoufflé, je fais une pause et contemple le firmament constellé de joyaux blancs étincelants comme des diamants. Les nuages aux larges arabesques grises et bleues se dissipent et laissent émerger la lune ; une lune rousse, victorieuse et rayonnante dans son écrin cuivré. Tout est si calme, si serein.
Dans cette nature silencieuse, bercée par le flux continu de l'eau, je fais la paix avec moi-même et laisse mes tourments au pied de la falaise. Par la seule force des bras, me voilà hissé sur le dernier pic rocheux, guidé par un bruit torrentiel me signifiant que je touche au but. La récompense est au-delà de mes espérances. Sous le ciel aux milliers d'étoiles, une superbe cascade multicolore et fluorescente se déverse dans un bassin large et bien rond, resplendissant avec l'éclat de joyaux caressés par les rayons ardents. Le spectacle est grandiose, fascinant. Époustouflé par ce phénomène surnaturel, je m’assois au bord du torrent et y glisse ma main, tentant d'en percer les mystères.
Pourtant, je ne sens aucune algue, rien qui explique cette teinte ni ce chatoiement extraordinaire. A force de baigner mon regard dans ces eaux prodigieuses, mes yeux commencent à fatiguer et je me tourne vers l'herbe fraîche qui tapisse le sol, imbibée des affres du ciel la couvrant de minuscules gouttelettes. C'est alors que je découvre une curieuse plante au tronc en forme de petit personnage trapu avec des fruits pendus dans les feuilles qui ressemblent à de longs cheveux verts. Je me sens comme hypnotisé par cette étrange plante et j'ai l'impression qu'elle m'appelle en me murmurant sur un ton strident :
« Mange mes fruits ! Mange mes fruits ! »
Sa voix lancinante ne cesse de résonner dans ma tête et je me laisserais bien tenter. C'est vrai que ces baies sont belles, lisses et bien rondes, d'une agréable teinte diaphane et saumonée ; elles semblent gorgées d'un liquide sucré. Depuis que je suis parti je n'ai rien mangé et la faim commence vraiment à me tenailler alors j'arrache à la chevelure verdoyante l'un de ses joyaux, croque dedans et me sens soudain envahi d'un plaisir immense. La fraîcheur de son jus se répand sur mes papilles et glisse dans ma gorge comme un fluide au pouvoir régénérant. Je regarde le superbe fruit à la chair tendre et juteuse puis en retire le gros noyau, brillant de mille feux. Émerveillé, je le tourne et le retourne dans tous les sens, c'est une pierre précieuse dont les facettes couleur rubis accrochent la lumière des étoiles avec une intensité inouïe.
J'entends le petit personnage trapu qui ricane et continue à scander toujours plus vivement :
« Mange mes fruits ! ». Alors, j'en saisis un deuxième, savoure avec la même joie sa pulpe tendre et parfumée avant d'en extraire le noyau, plus éclatant encore que le premier ! J'ai un soleil dans ma main, jaune et doré, me forçant presque à fermer les yeux tant l'éblouissement frappe le regard. Je me sens dans un état second, en transe. La fraîcheur de la nuit apaise mon corps brûlant. Fébrile, je croque à pleines dents dans un troisième fruit et en découvre à nouveau le précieux trésor, d'une tonalité incroyable, indescriptible, que jamais yeux d'humain n'ont vus jusqu'alors. Sa lumière enveloppe tout mon être comme si la lune s'était décrochée du ciel... Le temps semble s’être distendu et je ne sais combien d'heures se sont écoulées quand j'éprouve
le souffle chaud et humide d'une bête contre mon front.
Je frotte mes yeux et devine une forme floue dont les contours s'affinent et se précisent à mesure que je reprends mes esprits. Une belle et grande tête de cheval gris me dévisage avec un air circonspect. Je lève les yeux et rencontre le regard à la fois inquiet et suspicieux d'un homme qui monte à cru le superbe animal. Deux grandes plumes de faucon sont plantées dans un gros chignon noir, dressé au sommet de son crâne. Pas un mot ne sort de sa bouche. Nerveusement, sans le quitter du regard, je tâte le sol pour trouver mes joyaux et ne découvre que de gros noyaux marron et tout lisses comme des billes.